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eût connu ma mère, mon père l’avait traitée et aimée comme sa fille. Elle avait été la compagne raisonnable et complaisante de mes premiers jeux. C’était une jolie et douce enfant, et qui n’a jamais eu qu’un défaut pour moi, celui d’être trop absolue dans ses idées d’ordre et de dévotion. Je ne vois pas ce qu’on pouvait craindre pour moi de son contact, et ce qui eût pu me faire rougir jamais devant le monde de la reconnaître pour ma sœur, à moins que ce ne fût une souillure de n’être point noble de naissance, de sortir probablement de la classe du peuple, car je n’ai jamais su quel rang le père de Caroline occupait dans la société, et il est à présumer qu’il était de la même condition honnête et obscure que ma mère. Mais n’étais-je pas, moi aussi, la fille de Sophie Delaborde, la petite fille du marchand d’oiseaux, l’arrière-petite-fille de la mère Cloquard ? Comment pouvait-on se flatter de me faire oublier que je sortais du peuple, et de me persuader que l’enfant porté dans le même sein que moi, était d’une nature inférieure à la mienne, par ce seul fait qu’il n’avait point l’honneur de compter le roi de Pologne et le maréchal de Saxe parmi ses ancêtres paternels ? Quelle folie, ou plutôt quel inconcevable enfantillage ! Et quand une personne d’un âge mûr et d’un grand esprit commet un enfantillage devant un enfant, combien de temps, d’efforts et de perfections ne faut-il pas pour en effacer en lui l’impression ?