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modifiée par l’éducation. Je ne suis capable ni de ses rancunes ni de ses éclats, mais, quand du mauvais mouvement je reviens au bon, je n’ai pas le même mérite, parce que mon dépit n’a jamais été de la fureur et mon éloignement jamais de la haine. Pour passer ainsi d’une passion extrême à une autre, pour adorer ce qu’on vient de maudire et caresser ce qu’on a brisé, il faut une rare puissance. J’ai vu cent fois ma mère outrager jusqu’au sang, et puis tout à coup reconnaître qu’elle allait trop loin, fondre en larmes et relever jusqu’à l’adoration ce qu’elle avait injustement foulé aux pieds.

Avare pour elle-même, elle était prodigue pour les autres. Elle lésinait sur des riens, et puis, tout à coup, elle craignait d’avoir mal agi, et donnait trop. Elle avait d’admirables naïvetés lorsqu’elle était en train de médire de ses ennemis. Si Pierret, pour user vite son dépit, ou tout bonnement parce qu’il voyait par ses yeux, enchérissait sur ses malédictions, elle changeait tout à coup. — « Pas du tout, Pierret disait-elle, vous déraisonnez : vous ne vous apercevez pas que je suis en colère, que je dis des choses qui ne sont pas justes, et que dans un instant je serai désolée d’avoir dites. » Cela est arrivé bien souvent à propos de moi ; elle éclatait en reproches terribles, et, j’ose le dire, fort peu mérités. Pierret ou quelque autre voulait-il qu’elle eût raison : — « Vous en avez