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comme pour une partie de plaisir. Je ne sais où nous nous embarquâmes, ni quelles gens nous accompagnèrent jusqu’au rivage, en nous prodiguant de grands soins. On me donna un gros bouquet de roses, que je gardai tout le temps de la traversée pour me préserver de l’odeur du soufre.

Je ne sais combien de temps nous côtoyâmes le rivage ; je retombai dans mon sommeil léthargique, et cette traversée ne m’a laissé d’autres souvenirs que ceux du départ et de l’arrivée. Au moment où nous approchions de notre but, un coup de vent nous éloigna du rivage, et je vis le pilote et ses deux aides livrés à une grande anxiété. Ma mère recommença à avoir peur, mon père se mit à la manœuvre ; mais comme nous étions enfin entrés dans la Gironde, nous heurtâmes je ne sais quel récif, et l’eau commença à entrer dans la cale. On se dirigea précipitamment vers la rive, mais la cale se remplissait toujours, et la chaloupe sombrait visiblement. Ma mère, prenant ses enfans avec elle, était entrée dans la calèche ; mon père la rassurait en lui disant que nous avions le temps d’aborder avant d’être engloutis. Pourtant, le pont commençait à se mouiller, et il ôta son habit et prépara un châle pour attacher ses deux enfans sur son dos.

« Sois tranquille, disait-il à ma mère, je te prendrai sous mon bras, je nagerai de l’autre, et je vous sauverai tous trois, sois-en sûre. »