un groupe de soldats qui mangeaient la soupe avec un grand appétit. Ma mère me poussa au milieu d’eux en les priant de me laisser manger à leur gamelle. Ces braves gens me mirent aussitôt à même et me firent manger à discrétion en souriant d’un air attendri.
Cette soupe me parut excellente, et quand elle fut à moitié dégustée, un soldat dit à ma mère avec quelque hésitation : « Nous vous engagerions bien à en manger aussi, mais vous ne pourriez peut-être pas, parce que le goût est un peu fort. » Ma mère approcha et regarda la gamelle. Il y avait du pain et du bouillon très gras, mais certaines mèches noircies surnageaient : c’était une soupe faite avec des bouts de chandelle.
Je me souviens de Burgos et d’une ville (celle-là ou une autre) où les aventures du Cid étaient peintes à fresque sur les murailles. Je me souviens aussi d’une superbe cathédrale où les hommes du peuple avaient un genou en terre pour prier, le chapeau sur l’autre genou, et un petit paillasson rond sous celui qui touchait le sol. Enfin, je me souviens de Vittoria et d’une servante dont les cheveux noirs, inondés de vermine, flottaient sur son dos. J’eus un ou deux jours de bien-être à la frontière d’Espagne. Le temps était rafraîchi, la fièvre et la misère avaient cessé. Mon père était décidément avec nous. Nous avions repris possession de notre calèche pour faire le reste du voyage. Les auberges étaient