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et assez gros, et sa figure était toute ridée, à cause d’un tic nerveux qui lui faisait faire perpétuellement des grimaces effroyables. C’était peut-être ce tic même qui empêchait qu’on pût se faire une idée juste de l’espèce de visage qu’il pouvait avoir. Mais je crois que c’était surtout l’expression candide et naïve de cette physionomie, dans ses rares instans de repos, qui prêtait à l’illusion. Il n’avait pas la moindre parcelle de ce qu’on appelle de l’esprit ; mais comme il jugeait tout avec son cœur et sa conscience, on pouvait bien lui demander conseil sur les affaires les plus délicates de la vie. Je ne crois pas qu’il ait jamais existé un homme plus pur, plus loyal, plus dévoué, plus généreux et plus juste. Et son âme était d’autant plus belle, qu’il n’en connaissait pas la beauté et la rareté. Croyant à la bonté des autres, il ne s’est jamais douté qu’il fût une exception.

Il avait des goûts fort prosaïques. Il aimait le vin, la bière, la pipe, le billard et le domino. Tout le temps qu’il ne passait pas avec nous, il le passait dans un estaminet de la rue du Faubourg-Poissonnière, à l’enseigne du Cheval-Blanc. Il y était comme dans sa famille, car il le fréquenta pendant trente ans, et il y porta, jusqu’à son dernier jour, son inépuisable enjoûment et son incomparable bonté. Sa vie s’est écoulée dans un cercle bien obscur et fort peu varié. Il s’y est trouvé heureux. Et comment