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entre elle et mes autres enfans ? Depuis le jour où je t’ai vue pour la première fois, ai-je un moment cessé de t’adorer, d’aimer tout ce qui t’appartient : ta fille, ta sœur, tout ce que tu aimes ? Tu m’accables de reproches comme si je t’abandonnais pour le seul plaisir de courir le monde. Je te jure sur l’honneur et sur l’amour, que je n’ai point demandé d’avancement, que le grand-duc m’a appelé auprès de lui sans que je me doutasse qu’il en eût la moindre idée ; qu’enfin j’ai vu s’éloigner avec un profond chagrin le jour qui devait nous réunir. Te dirai-je tout ? J’ai failli refuser, me sentant sans courage devant un nouveau retard à mon retour près de toi. Mais, chère femme, aurais-je rempli mon devoir envers toi, envers ma mère, qui a sacrifié son aisance à ma carrière militaire, envers nos enfans, nos trois enfans[1] qui auront bientôt besoin des ressources et de la considération de leur père, si j’avais rejeté la fortune qui venait d’elle-même me chercher ?

« Mon ambition, dis-tu ? Moi, de l’ambition ! Si j’étais moins triste, tu me ferais rire avec ce mot-là. Ah ! je n’en ai qu’une depuis que je te connais, c’est de réparer envers toi les injustices de la société et de la destinée ; c’est de t’assurer une existence honorable et de te mettre à l’abri du

  1. Ces trois enfans, c’étaient Caroline, moi, et un fils né en 1806, et qui n’a pas vécu. Je n’en ai aucun souvenir.