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à mes propres yeux, et je ne pourrais les attribuer qu’au hasard, qui n’a jamais rien expliqué en ce monde, si je ne relisais pas dans le passé la page qui précède celle où mon individualité est inscrite dans le livre universel. Cette individualité n’a, par elle seule, ni signification, ni importance aucune. Elle ne prend un sens quelconque qu’en devenant une parcelle de la vie générale, en se fondant avec l’individualité de chacun de mes semblables, et c’est par là qu’elle devient de l’histoire.

Ceci posé, et pour n’y plus revenir, j’affirme que je ne pourrais pas raconter et expliquer ma vie sans avoir raconté et fait comprendre celle de mes parens. C’est aussi nécessaire dans l’histoire des individus que dans l’histoire du genre humain. Lisez à part une page de la révolution ou de l’empire, vous n’y comprendrez rien si vous ne connaissez toute l’histoire antérieure de la révolution et de l’empire ; et pour comprendre la révolution et l’empire, encore vous faut-il connaître toute l’histoire de l’humanité. Je raconte ici une histoire intime ; l’humanité a son histoire intime dans chaque homme.

Il faut donc que j’embrasse une période d’environ cent ans pour raconter quarante ans de ma vie.

Je ne puis coordonner sans cela mes souvenirs. J’ai traversé l’empire et la restauration ; j’étais trop jeune au commencement pour comprendre