et je ne saurais m’y habituer. Je reviens encore de fouiller dans les dépêches du général, et je reviens encore une fois triste. J’ai été voir avant-hier mon brave compatriote le capitaine Fleury[1], j’y suis allé avec un autre capitaine de son régiment. Nous avons descendu le Rhin jusqu’à Mulheim dans une chaloupe à voiles, par un vent qui nous coupait la figure et qui nous menait d’un train admirable. Il nous a donné un très bon dîner et j’en avais besoin, car ce joli vent m’avait donné une faim de soldat. Ce brave homme nous a reçus à bras ouvert, et nous n’avons fait que parler du Berry. Le sentiment qu’on appelle amour de la patrie est de deux sortes. Il y a l’amour du sol, qu’on ressent bien vite dès qu’on a mis le pied sur la terre étrangère, où rien ne vous satisfait, ni la langue, ni les visages, ni les manières, ni les caractères. Il se mêle à cela je ne sais quel amour-propre national qui fait qu’on trouve tout plus beau et meilleur chez soi que chez les autres. Le sentiment militaire s’en mêle aussi, Dieu sait pourquoi ! Mais enfin, enfantillage ou non, voilà que je m’en sens atteint et qu’une plaisanterie sur mon uniforme ou mon régiment me mettrait en colère tout aussi bien qu’un vieux soldat dont on raillerait le sabre ou la moustache.
- ↑ Le père de mon ami d’enfance.