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bonne, pourvu qu’on ait son pays à défendre et le joug étranger à repousser.

Probablement ma grand’mère le sentait aussi, car elle admirait beaucoup les grands faits d’armes de l’armée républicaine, et elle connaissait Jemmapes et Valmy sur le bout du doigt, tout aussi bien que Fontenoy et l’ancien Fleurus. Mais elle ne pouvait concilier sa logique avec l’effroi de perdre son unique enfant. Elle l’aurait bien voulu voir pourvu d’un régiment, à condition qu’il n’y aurait jamais de guerre. L’idée qu’il pût un jour manger à la gamelle et coucher en plein champ lui faisait dresser les cheveux sur la tête. À la pensée d’une bataille, elle se sentait mourir. Je n’ai jamais vu de femme plus courageuse pour elle-même, si faible pour les autres, si calme dans les dangers personnels, si pusillanime pour les dangers de ceux qu’elle aimait. Quand j’étais enfant, elle m’endoctrinait si bien au stoïcisme, que j’aurais eu honte d’écrire devant elle en me faisant du mal. Mais si elle en était témoin, c’était elle alors, la chère femme, qui jetait les hauts cris.

Toute sa vie s’écoula dans cette contradiction touchante, et comme tout ce qui est bon produit quelque chose de bon, comme ce qui vient du cœur agit toujours sur le cœur, sa tendre faiblesse ne produisait pas sur ses enfans un effet contraire à celui où tendaient ses enseignemens. On puisait plus de courage dans la volonté