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que la force ou la santé physiques. C’est dans la belle peinture qu’on sent ce que c’est que la vie : c’est comme un résumé splendide de la forme et de l’expression des êtres et des choses, trop souvent voilées ou flottantes dans le mouvement de la réalité et dans l’appréciation de celui qui les contemple ; c’est le spectacle de la nature et de l’humanité vu à travers le sentiment du génie qui l’a composé et mis en scène. Quelle bonne fortune pour un esprit naïf qui n’apporte devant de telles œuvres ni préventions de critique, ni préventions de capacité personnelle ! L’univers se révélait à moi. Je voyais à la fois dans le présent et dans le passé, je devenais classique et romantique en même temps, sans savoir ce que signifiait la querelle agitée dans les arts. Je voyais le monde du vrai surgir à travers tous les fantômes de ma fantaisie et toutes les hésitations de mon regard. Il me semblait avoir conquis je ne sais quel trésor d’infini dont j’avais ignoré l’existence. Je n’aurais pu dire quoi, je ne savais pas de nom pour ce que je sentais se presser dans mon esprit réchauffé et comme dilaté ; mais j’avais la fièvre, et je m’en revenais du musée, me perdant de rue en rue, ne sachant où j’allais, oubliant de manger, et m’apercevant tout à coup que l’heure était venue d’aller entendre le Freyschutz ou Guillaume Tell. J’entrais alors chez un pâtissier, je dînais d’une brioche, me disant avec satisfaction, devant la petite bourse dont on