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« Ayez de quoi la payer, je vous l’achète ; »

et si je me fusse laissée aller à dire que j’aimerais à voir la Chine, il m’eût répondu :

« Ayez de l’argent, faites que Nohant en rapporte, et allez en Chine. »

J’avais donc agité en moi plus d’une fois le problème d’avoir des ressources, si modestes qu’elles fussent, mais dont je pusse disposer sans remords et sans contrôle, pour un bonheur d’artiste, pour une aumône bien placée, pour un beau livre, pour une semaine de voyage, pour un petit cadeau à une amie pauvre, que sais-je ? pour tous ces riens dont on peut se priver, mais sans lesquels pourtant on n’est pas homme ou femme, mais bien plutôt ange ou bête. Dans notre société toute factice, l’absence totale de numéraire constitue une situation impossible, la misère effroyable ou l’impuissance absolue. L’irresponsabilité est un état de servage ; quelque chose comme la honte de l’interdiction.

Je m’étais dit aussi qu’un moment viendrait où je ne pourrais plus rester à Nohant. Cela tenait à des causes encore passagères alors ; mais que parfois je voyais s’aggraver d’une manière menaçante. Il eût fallu chasser mon frère, qui, gêné par une mauvaise gestion de son propre bien, était venu vivre chez nous par économie, et un autre ami de la maison pour qui j’avais, malgré sa fièvre bachique, une très véritable amitié ; un homme qui, comme mon frère, avait du cœur et de l’esprit à revendre, un jour sur