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existence (Dieu, lui et moi), était fatigué de cette aspiration surhumaine à l’amour sublime. Généreux et tendre, il ne le disait pas, mais ses lettres devenaient plus rares, ses expressions plus vives ou plus froides selon le sens que je voulais y attacher. Ses passions avaient besoin d’un autre aliment que l’amitié enthousiaste et la vie épistolaire. Il avait fait un serment qu’il m’avait tenu religieusement et sans lequel j’eusse rompu avec lui ; mais il ne m’avait pas fait de serment restrictif à l’égard des joies ou des plaisirs qu’il pouvait rencontrer ailleurs. Je sentis que je devenais pour lui une chaîne terrible, ou que je n’étais plus qu’un amusement d’esprit. Je penchai trop modestement vers cette dernière opinion, et j’ai su plus tard que je m’étais trompée. Je ne m’en suis que davantage applaudie d’avoir mis fin à la contrainte de son cœur et à l’empêchement de sa destinée. Je l’aimai longtemps encore dans le silence et l’abattement. Puis je pensai à lui avec calme, avec reconnaissance, et je n’y pense qu’avec une amitié sérieuse et une estime fondée.

Il n’y eut ni explication ni reproche, dès que mon parti fut pris. De quoi me serais-je plainte ? Que pouvais-je exiger ? Pourquoi aurais-je tourmenté cette belle et bonne âme, gâté cette vie pleine d’avenir ? Il y a d’ailleurs un point de détachement où celui qui a fait le premier pas ne doit plus être interrogé et persécuté, sous peine