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remplie d’un rêve qui avait pris l’importance d’une passion, non pas dans ma vie, puisque j’avais sacrifié ma vie au devoir, mais dans ma pensée. Un être absent, avec lequel je m’entretenais sans cesse, à qui je rapportais toutes mes réflexions, toutes mes rêveries, toutes mes humbles vertus, tout mon platonique enthousiasme, un être excellent en réalité, mais que je parais de toutes les perfections que ne comporte pas l’humaine nature, un homme enfin qui m’apparaissait quelques jours, quelques heures parfois, dans le courant d’une année, et qui, romanesque auprès de moi autant que moi-même, n’avait mis aucun effroi dans ma religion, aucun trouble dans ma conscience, ce fut là le soutien et la consolation de mon exil dans le monde de la réalité.

Ma religion, elle était restée la même, elle n’a jamais varié quant au fond. Les formes du passé se sont évanouies pour moi comme pour mon siècle à la lumière de l’étude et de la réflexion : mais la doctrine éternelle des croyans, le Dieu bon, l’âme immortelle et les espérances de l’autre vie, voilà ce qui, en moi, a résisté à tout examen, à toute discussion et même à des intervalles de doute désespéré. Des cagots m’ont jugée autrement et m’ont déclarée sans principes, dès le commencement de ma carrière littéraire, parce que je me suis permis de regarder en face des institutions purement humaines dans lesquelles