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n’avais pourtant à me plaindre sérieusement d’aucun mauvais procédé direct, et quand cela même eût été, je n’aurais pas consenti à m’en apercevoir. Le désordre de mon pauvre frère et de ceux qui se laissaient entraîner avec lui n’en était pas venu à ce point que je ne me sentisse plus leur inspirer une sorte de crainte qui n’était pas de la condescendance, mais un respect instinctif. J’y avais mis, de mon côté, toute la tolérance possible. Tant que l’on se bornait à être radoteur, fatigant, bruyant, malade même et fort dégoûtant, je tâchais de rire, et je m’étais même habituée à supporter un ton de plaisanterie qui dans le principe m’avait révoltée. Mais quand les nerfs se mettaient de la partie, quand on devenait obscène et grossier, quand mon pauvre frère lui-même, si longtemps soumis et repentant devant mes remontrances, devenait brutal et méchant, je me faisais sourde, et dès que je le pouvais, je rentrais, sans faire semblant de rien, dans ma petite chambre.

Là, je savais bien m’occuper, et me distraire du vacarme extérieur qui durait souvent jusqu’à six ou sept heures du matin. Je m’étais habituée à travailler, la nuit, auprès de ma grand’mère malade ; maintenant j’avais d’autres malades, non à soigner, mais à entendre divaguer.

Mais la solitude morale était profonde, absolue : elle eût été mortelle à une âme tendre et à une jeunesse encore dans sa fleur, si elle ne se fût