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même stoïcisme brutal et cruel les blessures qui font crier et saigner ses semblables. Souffrons donc et plaignons-nous quand notre plainte peut être utile, quand elle ne l’est pas, taisons-nous, mais pleurons en secret. Dieu, qui voit nos larmes à notre insu et qui, dans son immuable sérénité, nous semble n’en pas tenir compte, a mis lui-même en nous cette faculté de souffrir pour nous enseigner à ne pas vouloir faire souffrir les autres.

Comme le monde physique que nous habitons s’est formé et fertilisé, sous les influences des volcans et des pluies, jusqu’à devenir approprié aux besoins de l’homme physique, de même le monde moral où nous souffrons se forme et se fertilise, sous les influences des brûlantes aspirations et des larmes saintes, jusqu’à mériter de devenir approprié aux besoins de l’homme moral. Nos jours se consument et s’évanouissent au sein de ces tourmentes. Privés d’espoir et de confiance, ils sont horribles et stériles ; mais éclairés par la foi en Dieu et réchauffés par l’amour de l’humanité, ils sont humblement acceptables et pour ainsi dire doucement amers.

Soutenue par ces notions si simples et pourtant si lentement acquises à l’état de conviction, tant l’excès de ma sensibilité intérieure dans la jeunesse obscurcissait l’effort de ma justice, je traversai la fin de cette période de mon récit sans trop me départir de l’immolation que j’avais