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accourant chez nous dès qu’il a un jour de loisir.

Il est assez naturel qu’après avoir vécu un demi-siècle on se voie privé d’une partie de ceux avec qui on a vécu par le cœur ; mais nous traversons un temps où de violentes secousses morales ont sévi contre tous et mis en deuil toutes les familles. Depuis quelques années surtout, les révolutions qui entraînent d’affreux jours de guerre civile, qui ébranlent les intérêts et irritent les passions, qui semblent appeler fatalement les grandes maladies endémiques après les crises de colère et de douleur, après les proscriptions des uns, les larmes ou la terreur des autres ; les révolutions qui rendent les grandes guerres imminentes, et qui, en se succédant, détruisent l’âme de ceux-ci et moissonnent la vie de ceux-là, ont mis la moitié de la France en deuil de l’autre.

Pour ma part, ce n’est plus par douze, c’est par cent que je compte les pertes amères que j’ai faites dans ces dernières années. Mon cœur est un cimetière, et si je ne me sens pas entraînée dans la tombe qui a englouti la moitié de ma vie, par une sorte de vertige contagieux, c’est parce que l’autre vie se peuple pour moi de tant d’êtres aimés qu’elle se confond parfois avec ma vie présente jusqu’à me faire illusion. Cette illusion n’est pas sans un certain charme austère, et ma