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accepter sans trop d’étonnement et surtout sans dépit les transports et les accablements de l’âme aux prises avec la fièvre. J’ai appris au chevet des malades à respecter ce qui est véritablement leur volonté saine et libre, et à pardonner ce qui est le trouble et le délire de leur fatalité.

J’ai été payée de mes années de veille, d’angoisse et d’absorption par des années de tendresse, de confiance et de gratitude qu’une heure d’injustice ou d’égarement n’a point annulées devant Dieu. Dieu n’a pas puni, Dieu n’a pas seulement aperçu cette heure mauvaise dont je ne veux pas me rappeler la souffrance. Je l’ai supportée, non pas avec un froid stoïcisme, mais avec des larmes de douleur et d’enthousiasme, dans le secret de ma prière. Et c’est parce que j’ai dit aux absents, dans la vie ou dans la mort :

« Soyez bénis ! »

que j’espère trouver dans le cœur de ceux qui me fermeront les yeux la même bénédiction à ma dernière heure.

Vers l’époque où je perdis Chopin, je perdis aussi mon frère plus tristement encore : sa raison s’était éteinte depuis quelque temps déjà, l’ivresse avait ravagé et détruit cette belle organisation et la faisait flotter désormais entre l’idiotisme et la folie. Il avait passé ses dernières années à se brouiller et à se réconcilier tour à tour avec moi, avec mes enfants, avec sa propre famille et tous ses amis. Tant qu’il continua à venir me voir, je prolongeai sa vie en mettant à son insu de