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qu’il ne m’aimait plus. Je lui épargnai cette souffrance et je remis tout aux mains de la Providence et de l’avenir.

Je ne devais plus le revoir. Il y avait de mauvais cœurs entre nous. Il y en eut de bons aussi, qui ne surent pas s’y prendre. Il y en eut de frivoles qui aimèrent mieux ne pas se mêler d’affaires délicates ; Gutmann n’était pas là[1].

On m’a dit qu’il m’avait appelée, regrettée, aimée filialement jusqu’à la fin. On a cru devoir me le cacher jusque-là. On a cru devoir lui cacher aussi que j’étais prête à courir vers lui. On a bien fait si cette émotion de me revoir eût dû abréger sa vie d’un jour ou seulement d’une heure. Je ne suis pas de ceux qui croient que les choses se résolvent en ce monde. Elles ne font peut-être qu’y commencer, et, à coup sûr, elles n’y finissent point. Cette vie d’ici-bas est un voile que la souffrance et la maladie rendent plus épais à certaines âmes, qui ne se soulève que par moments pour les organisations les plus solides, et que la mort déchire pour tous.

Garde-malade, puisque telle fut ma mission pendant une notable portion de ma vie, j’ai dû

  1. Gutmann, son plus parfait élève, aujourd’hui un véritable maître lui-même, un noble cœur toujours. Il fut forcé de s’absenter durant la dernière maladie de Chopin, et ne revint que pour recevoir son dernier soupir.