Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/617

Cette page n’a pas encore été corrigée

retour, au printemps, l’enivrait encore quelques instants. Mais dès qu’il se mettait au travail, tout s’assombrissait autour de lui. Sa création était spontanée, miraculeuse. Il la trouvait sans la chercher, sans la prévoir. Elle venait sur son piano soudaine, complète, sublime ; ou elle se chantait dans sa tête pendant une promenade, et il avait hâte de se la faire entendre à lui-même en la jetant sur l’instrument. Mais alors commençait le labour le plus navrant auquel j’aie jamais assisté. C’était une suite d’efforts, d’irrésolutions et d’impatiences pour ressaisir certains détails du thème de son audition : ce qu’il avait conçu tout d’une pièce, il l’analysait trop en voulant l’écrire, et son regret de ne pas le retrouver net, selon lui, le jetait dans une sorte de désespoir. Il s’enfermait dans sa chambre des journées entières, pleurant, marchant, brisant ses plumes, répétant et changeant cent fois une mesure, l’écrivant et l’effaçant autant de fois, et recommençant le lendemain avec une persévérance minutieuse et désespérée. Il passait six semaines sur une page pour en revenir à l’écrire telle qu’il l’avait tracée du premier jet.

J’avais eu longtemps l’influence de le faire consentir à se fier à ce premier jet de l’inspiration. Mais quand il n’était plus disposé à me croire, il me reprochait doucement de l’avoir gâté et de n’être pas assez sévère pour lui. J’essayais de le distraire, de le promener. Quelquefois