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d’analyse. On s’est trompé, parce que l’on a cru reconnaître quelques-uns de ses traits, et, procédant par ce système, trop commode pour être sûr, Liszt lui-même, dans une Vie de Chopin, un peu exubérante de style, mais remplie cependant de très-bonnes choses et de très-belles pages, s’est fourvoyé de bonne foi.

J’ai tracé, dans le Prince Karol, le caractère d’un homme déterminé dans sa nature, exclusif dans ses sentiments, exclusif dans ses exigences.

Tel n’était pas Chopin. La nature ne dessine pas comme l’art, quelque réaliste qu’il se fasse. Elle a des caprices, des inconséquences, non pas réelles probablement, mais très-mystérieuses. L’art ne rectifie ces inconséquences que parce qu’il est trop borné pour les rendre.

Chopin était un résumé de ces inconséquences magnifiques que Dieu seul peut se permettre de créer et qui ont leur logique particulière. Il était modeste par principe et doux par habitude, mais il était impérieux par instinct et plein d’un orgueil légitime qui s’ignorait lui-même. De là des souffrances qu’il ne raisonnait pas et qui ne se fixaient pas sur un objet déterminé.

D’ailleurs le prince Karol n’est pas artiste. C’est un rêveur, et rien de plus : n’ayant pas de génie, il n’a pas les droits du génie. C’est donc un personnage plus vrai qu’aimable, et c’est si peu le portrait d’un grand artiste, que Chopin, en lisant le manuscrit chaque jour sur mon bureau,