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en Anglaise sentimentale et ridicule, en juif sordide. C’était toujours des types tristes,

quelque comiques qu’ils fussent, mais parfaitement compris et si délicatement traduits qu’on ne pouvait se lasser de les admirer.

Toutes ces choses sublimes, charmantes ou bizarres qu’il savait tirer de lui-même faisaient de lui l’âme des sociétés choisies, et on se l’arrachait bien littéralement, son noble caractère, son désintéressement, sa fierté, son orgueil bien entendu, ennemi de toute vanité de mauvais goût et de toute insolente réclame, la sûreté de son commerce et les exquises délicatesses de son savoir-vivre faisant de lui un ami aussi sérieux qu’agréable.

Arracher Chopin à tant de gâteries, l’associer à une vie simple, uniforme et constamment studieuse, lui qui avait été élevé sur les genoux des princesses, c’était le priver de ce qui le faisait vivre, d’une vie factice il est vrai, car, ainsi qu’une femme fardée, il déposait le soir, en rentrant chez lui, sa verve et sa puissance, pour donner la nuit à la fièvre et à l’insomnie ; mais d’une vie qui eût été plus courte et plus animée que celle de la retraite, et de l’intimité restreinte au cercle uniforme d’une seule famille. À Paris, il en traversait plusieurs chaque jour, ou il en choisissait au moins chaque soir une différente pour milieu. Il avait ainsi tour à tour vingt ou trente salons à enivrer ou à charmer de sa présence.