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succédèrent deux ou trois heures de méditation et de rassérénement dont le souvenir est resté net en moi comme une chose décisive en ma vie.

La résignation n’est pas dans ma nature. C’est là un état de tristesse morne, mêlée à de lointaines espérances, que je ne connais pas. J’ai vu cette disposition chez les autres, je n’ai jamais pu l’éprouver. Apparemment mon organisation s’y refuse. Il me faut désespérer absolument pour avoir du courage. Il faut que je sois arrivée à me dire

« Tout est perdu ! »

pour que je me décide à tout accepter. J’avoue même que ce mot de résignation m’irrite. Dans l’idée que je m’en fais, à tort ou à raison, c’est une sotte paresse qui veut se soustraire à l’inexorable logique du malheur ; c’est une mollesse de l’âme qui nous pousse à faire notre salut en égoïstes, à tendre un dos endurci aux coups de l’iniquité, à devenir inertes, sans horreur du mal que nous subissons, sans pitié par conséquent pour ceux qui nous l’infligent. Il me semble que les gens complétement résignés sont pleins de dégoût et de mépris pour la race humaine. Ne s’efforçant plus de soulever les rochers qui les écrasent, ils se disent que tout est rocher, et qu’eux seuls sont les enfants de Dieu[1].

  1. C’était aussi le sentiment de M. Lamennais. Silvio Pellico était pour lui le type de la résignation, et cette résignation-là l’indignait.