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je ne voulais plus connaître. Un devoir de plus dans ma vie, déjà si remplie et si accablée de fatigue, me parut une chance de plus pour l’austérité vers laquelle je me sentais attirée avec une sorte d’enthousiasme religieux.

Si j’eusse donné suite à mon projet de m’enfermer à Nohant toute l’année, de renoncer aux arts et de me faire l’institutrice de mes enfants, Chopin eût été sauvé du danger qui le menaçait, lui, à mon insu : celui de s’attacher à moi d’une manière trop absolue. Il ne m’aimait pas encore au point de ne pouvoir s’en distraire, son affection n’était pas encore exclusive. Il m’entretenait d’un amour romanesque qu’il avait eu en Pologne, de doux entraînements qu’il avait subis ensuite à Paris et qu’il y pouvait retrouver, et surtout de sa mère, qui était la seule passion de sa vie, et loin de laquelle pourtant il s’était habitué à vivre. Forcé de me quitter pour sa profession, qui était son honneur même, puisqu’il ne vivait que de son travail, six mois de Paris l’eussent rendu, après quelques jours de malaise et de larmes, à ses habitudes d’élégance, de succès exquis et de coquetterie intellectuelle. Je n’en pouvais pas douter, je n’en doutais pas.

Mais la destinée nous poussait dans les liens d’une longue association, et nous y arrivâmes tous deux sans nous en apercevoir.

Forcée d’échouer dans mon entreprise de professorat, je pris le parti de le remettre en