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femme avait hérité, à une demi-lieue de nous. Mon pauvre Hippolyte s’était si étrangement et si follement conduit envers moi que le bouder un peu n’eût pas été trop sévère ; mais je ne pouvais bouder sa femme, qui avait toujours été parfaite pour moi, et sa fille, que je chérissais comme si elle eût été mienne, l’ayant élevée en partie avec les mêmes soins que j’avais eus pour Maurice. D’ailleurs mon frère, quand il reconnaissait ses torts, s’accusait si entièrement, si drôlement, si énergiquement, disant mille naïvetés spirituelles tout en jurant et pleurant avec effusion, que mon ressentiment était tombé au bout d’une heure. D’un autre que lui, le passé eût été inexcusable, et avec lui l’avenir ne devait pas tarder à redevenir intolérable ; mais qu’y faire ? C’était lui ! C’était le compagnon de mes premières années ; c’était le bâtard né heureux, c’est-à-dire l’enfant gâté de chez nous. Hippolyte eût eu bien mauvaise grâce à se poser en Antony. Antony est vrai relativement aux préjugés de certaines familles ; d’ailleurs ce qui est beau est toujours assez vrai ; mais on pourrait bien faire la contre-partie d’Antony, et l’auteur de ce poëme tragique pourrait la faire lui-même aussi vraie et aussi belle. Dans certains milieux, l’enfant de l’amour inspire un tel intérêt qu’il arrive à être, sinon le roi de la famille, du moins le membre le plus entreprenant et le plus indépendant de la famille, celui qui