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nécessaire dans ces sortes d’entreprises. Ils méconnurent l’état des esprits, les moyens de résistance ; ils se précipitaient dans l’abîme, comme Curtius, sans songer que le peuple était dans un de ces moments de lassitude et d’incrédulité où, par amour pour lui, par respect de son avenir, de son lendemain peut-être, il ne faut pas l’exposer à faire acte d’athéisme et de lâcheté.

Le succès ne justifie pas tout, mais il sanctionne les grandes causes et impose jusqu’à un certain point les mauvaises à la raison humaine, l’adhésion d’un peuple étant dans ce cas un obstacle contre lequel il faut savoir se tenir debout et attendre. La fièvre généreuse des nobles âmes indignées doit savoir se contenir à de certains moments de l’histoire, et se ménager pour l’heure où elle pourra faire de l’étincelle sacrée un vaste incendie. Alors qu’un parti se risque avec un peuple et même à la tête d’un peuple pour changer ses destinées, s’il échoue en dépit des plus sages prévisions et des plus savants efforts, s’il est en situation de rendre au moins sa défaite désastreuse à l’ennemi, si, en un mot, il exprime par ses actes une immense et ardente protestation, ses efforts ne sont pas perdus, et ceux qui survivront en recueilleront le fruit plus tard. C’est dans ce cas que l’on bénit encore les vaincus de la bonne cause ; c’est alors qu’on les absout des malheurs attachés à la crise, en