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d’un des hommes que je place aux premiers rangs parmi mes contemporains, bien que je ne l’aie connu que beaucoup plus tard ; Armand Barbès.

Ses premiers élans furent pourtant ceux d’un héroïsme irréfléchi, et je n’hésite pas à blâmer, avec Louis Blanc, la tentative du 12 mai. J’oserai ajouter que ce triste dicton, le succès justifie tout, a quelque chose de plus sérieux qu’un aphorisme fataliste ne semble le comporter. Il a même un sens très-vrai, si l’on considère que la vie d’un certain nombre d’hommes peut être sacrifiée à un principe bienfaisant pour l’humanité, mais à la condition d’avancer réellement le règne de ce principe dans le monde. Si l’effort de vaillance et de dévouement doit rester stérile ; si même, dans de certaines conditions et sous l’empire de certaines circonstances, il doit, en échouant, retarder l’heure du salut, il a beau être pur dans l’intention, il devient coupable dans le fait. Il donne des forces au parti vainqueur, il ébranle la foi chez les vaincus. Il verse le sang innocent et le propre sang des conjurés, qui est précieux, au profit de la mauvaise cause. Il met le vulgaire en défiance, ou il le frappe d’une terreur stupide, qui le rend presque impossible à ramener et à convaincre.

Je sais bien que le succès est le secret de Dieu, et que si l’on ne marchait, comme les anciens, qu’après avoir consulté des oracles réputés infaillibles, on n’aurait guère de mérite à