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fortifiait à vue d’œil, et nous ne faisions que rire des privations pour notre compte. J’aurais eu de bonnes heures de travail sans distraction ; je lisais de beaux ouvrages de philosophie et d’histoire quand je n’étais pas garde-malade, et le malade lui-même eût été adorablement bon s’il eût pu guérir. De quelle poésie sa musique remplissait ce sanctuaire, même au milieu de ses plus douloureuses agitations ! Et la Chartreuse était si belle sous ses festons de lierre, la floraison si splendide dans la vallée, l’air si pur sur notre montagne, la mer si bleue à l’horizon ! C’est le plus bel endroit que j’aie jamais habité, et un des plus beaux que j’aie jamais vus. Et j’en avais à peine joui ! N’osant quitter le malade, je ne pouvais sortir avec mes enfants qu’un instant chaque jour, et souvent pas du tout. J’étais très-malade moi-même de fatigue et de séquestration.

À Marseille il fallut nous arrêter. Je soumis Chopin à l’examen du célèbre docteur Cauvières, qui le trouva gravement compromis d’abord, et qui pourtant reprit bon espoir en le voyant se rétablir rapidement. Il augura qu’il pouvait vivre longtemps avec de grands soins, et il lui prodigua les siens. Ce digne et aimable homme, un des premiers médecins de France, le plus charmant, le plus sûr, le plus dévoué des amis, est, à Marseille, la providence des heureux et des malheureux. Homme de conviction et de progrès,