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Notre séjour à la Chartreuse de Valdemosa fut donc un supplice pour lui et un tourment pour moi. Doux, enjoué, charmant dans le monde, Chopin malade était désespérant dans l’intimité exclusive. Nulle âme n’était plus noble, plus délicate, plus désintéressée ; nul commerce plus fidèle et plus loyal, nul esprit plus brillant dans la gaîté, nulle intelligence plus sérieuse et plus complète dans ce qui était de son domaine ; mais en revanche, hélas ! nulle humeur n’était plus inégale, nulle imagination plus ombrageuse et plus délirante ; nulle susceptibilité plus impossible à ne pas irriter, nulle exigence de cœur plus impossible à satisfaire. Et rien de tout cela n’était sa faute, à lui. C’était celle de son mal. Son esprit était écorché vif ; le pli d’une feuille de rose, l’ombre d’une mouche le faisaient saigner. Excepté moi et mes enfants, tout lui était antipathique et révoltant sous le ciel de l’Espagne. Il mourait de l’impatience du départ, bien plus que des inconvénients du séjour.

Nous pûmes enfin nous rendre à Barcelone et de là, par mer encore, à Marseille, à la fin de l’hiver. Je quittai la Chartreuse avec un mélange de joie et de douleur. J’y aurais bien passé deux ou trois ans, seule avec mes enfants. Nous avions une malle de bons livres élémentaires que j’avais le temps de leur expliquer. Le ciel devenait magnifique et l’île un lieu enchanté. Notre installation romantique nous charmait ; Maurice se