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sa figure altérée marquait soixante ans, que je le chérissais d’une affection presque filiale, parce que, dans ces momens-là, il était doux, vrai, simple, candide et tout rempli d’idéal divin. Était-ce alors qu’il était lui-même ? C’est ce que je n’ai jamais pu savoir. Il était sincère à coup sûr dans tous ses aspects ; mais quelle eût été sa vraie nature si son organisation eût été régulière, c’est-à-dire si un mal chronique ne l’eût pas fait passer par de continuelles alternatives de fièvre et de langueur ? L’exaltation maladive me le rendait, je ne dirai pas antipathique, mais comme étranger. C’est lorsqu’il redevenait jeune, actif, ardent au petit combat de la politique d’actualité, que j’éprouvais l’invincible besoin de ne pas trop m’intéresser à lui.

C’est cette indifférence à ce qu’il regardait alors comme l’intérêt puissant de sa vie qu’il ne me pardonnait qu’après des bouderies ou des reproches. Pour éviter le retour de ces querelles, je ne provoquais ni ses lettres ni ses visites. Elles devinrent de plus en plus rares. Il fut nommé député. Son début à la Chambre le posa, dans une question de propriété particulière que je ne me rappelle pas bien, comme raisonneur habile plus que comme orateur politique. Son rôle y fut effacé, selon moi. Je ne voulais pas le tourmenter. D’un homme comme lui on pouvait attendre le réveil sans inquiétude. Nous fûmes des mois entiers sans nous voir et sans nous