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Revenons à Éverard. Trois ans s’étaient écoulés depuis qu’Éverard avait pris une grande influence morale sur mon esprit. Il la perdit pour des causes que je n’ai pas attendu jusqu’à ce jour pour oublier. Oublier est bien le mot, car la netteté des souvenirs est quelquefois encore du ressentiment. Je sais en gros que ces causes furent de diverse nature : d’une part, ses velléités d’ambition ; il se servait toujours de ce mot-là pour exprimer ses violens et fugitifs besoins d’activité ; de l’autre, les emportemens trop réitérés de son caractère, aigri souvent par l’inaction ou les déceptions.

Quant à l’innocente ambition de siéger à la Chambre des députés et d’y prendre de l’influence, je ne la désapprouvais nullement ; mais j’avoue qu’elle me gâtait un peu mon vieux Éverard, car c’est comme vieillard, aux heures où[1]

  1. encore rayonnante de beauté, d’intelligence, de grâce et de bonté, car elle était bonne, bien vraiment bonne ! Tout le monde sait qu’elle avait du génie ; mais cette tendresse délicate, cette fibre d’exquise maternité que ses ouvrages dramatiques venaient de révéler, ses amis seuls la connaissaient déjà. Pour moi, j’ai été à même de l’apprécier profondément.

    Elle a pleuré avec nous la plus douloureuse des pertes, d’un enfant adoré, et pleuré si naïvement, si ardemment ! Elle n’avait pourtant pas été mère, et ce n’est pas l’intelligence toute seule qui révèle à une femme ce que les mères doivent souffrir : C’est le cœur, c’est le génie de la tendresse, et Mme de Girardin avait ce génie-là pour couronnement d’une admirable organisation.