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Carrel disparut, emporté par la destinée, et non pas immolé par un ennemi. Un grand journaliste, c’est-à-dire un de ces hommes de synthèse qui font, au jour le jour, l’histoire de leur époque en la rattachant au passé et à l’avenir, à travers les inspirations ou les lassitudes du génie, laissa tomber le flambeau qu’il portait dans le sang de son adversaire, et dans le sien propre. L’adversaire lava ce sang de ses larmes et ramassa le flambeau. Le tenir élevé n’était pas chose facile après une telle catastrophe. La lumière vacilla longtemps dans ses mains éperdues. Le souffle des passions a pu l’obscurcir ou la faire dévier ; mais elle devait vivre, et nous eussions dû la saluer plus tôt. Nous ne l’avons pas fait, et elle a vécu quand même. La mission de l’héritier de Carrel s’est ennoblie dans la tempête. Au jour des catastrophes elle a été chevaleresque et généreuse. Un moment est venu où lui seul a pu montrer, en France, le courage et la foi que Carrel eût sans doute été forcé de refouler au fond de son cœur, puisque Carrel n’eût pu se défendre du devoir de saisir, à un moment donné, le pouvoir pour son compte. M. de Girardin a eu le rare bonheur de n’y être pas contraint. C’est quelquefois un grand honneur aussi[1].

  1. Au moment où je corrige ces épreuves, une douloureuse nouvelle vient me frapper : Mme de Girardin est morte, elle que je laissais malade il y a un mois, mais