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de Girardin. Par une mystérieuse et poignante fatalité, l’un a tué l’autre, et, chose plus frappante encore, le vainqueur de ce déplorable combat, jeune alors et en apparence inférieur au vaincu sous le rapport de l’étendue du talent, est arrivé à le dépasser de toute l’étendue du progrès qui s’est accompli dans les idées générales et qui s’est fait en lui-même. Si Carrel eût vécu, eût-il subi la loi de ce progrès ? Espérons-le ; mais soyons sans prévention, et avouons que, fût-il resté ce qu’il était à la veille de sa mort, il nous paraîtrait, je parle à ceux qui voient comme moi, singulièrement arriéré.

Émile de Girardin ne s’est pas arrêté dans sa marche, bien qu’il ait paru, qu’il ait peut-être été emporté par des courants contraires en de certains élans de sa ligne ascendante.

Si bien que, sans dire une énormité, ni chercher un paradoxe, on pourrait entrevoir un incompréhensible dessein de la Providence, non pas dans ce fait douloureux et à jamais regrettable de la mort de Carrel, mais dans cet héritage de son génie recueilli précisément par son adversaire consterné.

Quel eût été le rôle de Carrel en 1848 ? Cette question s’est souvent posée dans nos esprits à cette époque. Mes souvenirs me le présentaient comme l’ennemi né du socialisme. Les souvenirs de mes amis combattaient le mien, et la fin de nos commentaires était qu’ayant un grand cœur, il