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Elle sortit encore plusieurs fois. Elle s’affaiblissait visiblement, mais la crainte de la mort s’évanouissait. Les nuits étaient mauvaises et troublées par la fièvre et le délire : mais le jour elle semblait renaître. Elle avait envie de manger de tout ; ma sœur s’inquiétait de ses fantaisies et me grondait de lui apporter tout ce qu’elle demandait. Je grondais ma sœur de songer seulement à la contredire, et elle se rassurait, en effet, en voyant notre pauvre malade, entourée de fruits et de friandises, se réjouir en les regardant, en les touchant et en disant :

« J’y goûterai tout à l’heure. »

Elle n’y goûtait même pas. Elle en avait joui par les yeux.

Nous la descendions au jardin, et là, sur un fauteuil, au soleil, elle tombait dans la rêverie, et même dans la méditation. Elle attendait d’être seule avec moi pour me dire ce qu’elle pensait.

« Ta sœur est dévote, me disait-elle, et moi je ne le suis plus du tout depuis que je me figure que je vais mourir. Je ne veux pas voir la figure d’un prêtre, entends-tu bien ! Je veux, si je dois partir, que tout soit riant autour de moi. Après tout, pourquoi craindrais-je de me trouver devant Dieu ? Je l’ai toujours aimé. »

Et elle ajoutait avec une vivacité naïve :

« Il pourra bien me reprocher tout ce qu’il voudra, mais de ne pas l’avoir aimé, cela, je l’en défie ! »

Soigner et consoler ma mère mourante ne me fut pas accordé sans lutte et sans distraction