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doucement et sans en avoir conscience. Puis il ajouta avec sa sérénité habituelle, lui qui était frappé à mort aussi, et qui le savait bien, quoiqu’il le cachât pieusement à ses amis :

« Mourir n’est pas un mal ! »

Je prévins ma sœur, et nous n’eûmes plus qu’une pensée, celle de distraire et d’endormir les prévisions de notre pauvre malade. Elle voulut se lever et sortir.

« C’est dangereux, nous dit Gaubert, elle peut expirer dans vos bras ; mais retenir son corps dans une inaction que son esprit ne peut accepter est plus dangereux encore. Faites ce qu’elle désire. »

Nous habillâmes notre pauvre mère et la portâmes dans une voiture de remise. Elle voulut aller aux Champs-Élysées. Là, elle fut un instant ranimée par le sentiment de la vie qui s’agitait autour d’elle.

« Que c’est beau, nous disait-elle, ces voitures qui font du bruit, ces chevaux qui courent, ces femmes en toilette, ce soleil, cette poussière d’or ! On ne peut pas mourir au milieu de tout cela ! non ! à Paris on ne meurt pas ! »

Son œil était encore brillant et sa voix pleine. Mais, en approchant de l’arc de triomphe, elle nous dit en redevenant pâle comme la mort :

« Je n’irai pas jusque-là. J’en ai assez. »

Nous fûmes épouvantées, elle semblait prête à exhaler son dernier souffle. Je fis arrêter la voiture. La malade se ranima. « Retournons, me dit-elle ; un autre jour nous irons jusqu’au bois de Boulogne. »