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en riant ; mais, tout en riant, je sentais de grosses larmes tomber sur mes joues. Je ne pouvais m’habituer à la voir irritée et malheureuse dans ces momens où j’allais lui porter tout mon cœur : mon cœur souvent navré de quelque amertume secrète qu’elle n’eût probablement pas su comprendre, mais qu’une heure de son amour eût pu dissiper.

La première lettre que j’avais écrite en prenant la résolution de lutter judiciairement contre mon mari avait été pour elle. Son élan vers moi fut alors spontané, complet, et ne se démentit plus. Dans les voyages que je fis à Paris durant cette lutte, je la trouvai toujours parfaite. Il y avait donc près de deux ans que ma pauvre petite mère était redevenue pour moi ce qu’elle avait été dans mon enfance. Elle tournait un peu ses taquineries vers Maurice, qu’elle eût voulu gouverner à sa guise et qui résistait un peu plus que je n’aurais voulu. Mais elle l’adorait quand même, et j’avais besoin de la voir se livrer à ces petites frasques pour ne pas m’inquieter de ce doux changement survenu en elle à mon égard. Il y avait des momens où je disais à Pierret :

« Ma mère est adorable maintenant, mais je la trouve moins vive et moins gaie. Êtes-vous sûr qu’elle ne soit pas malade ? — Eh non, me répondait-il ; elle est mieux portante, au contraire. Elle a enfin passé l’âge où on se ressent encore d’une grande crise, et à présent