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Pour cette exclamation, pour ce regard et pour ce baiser, je pouvais bien affronter deux heures d’amertume. Alors l’impatience me prenait, je trouvais l’escalier insupportable, je le franchissais rapidement ; j’arrivais plus émue encore qu’essoufflée, et mon cœur battait à se rompre au moment où je tirais la sonnette. J’écoutais à travers la porte, et déjà je savais mon sort, car lorsqu’elle était de bonne humeur, elle reconnaissait ma manière de sonner, et je l’entendais s’écrier en mettant la main sur la serrure :

« Ah ! c’est mon Aurore ! »

— mais si elle était dans des idées noires, elle ne reconnaissait pas mon bruit, ou, ne voulant pas dire qu’elle l’avait reconnu, elle criait :

« Qui est là ? »

Ce Qui est là ? me tombait comme une pierre sur la poitrine, et il fallait quelquefois bien du temps avant qu’elle voulût s’expliquer ou qu’elle pût se calmer. Enfin, quand j’avais arraché un sourire, ou quand Pierret arrivait bien disposé à prendre mon parti, l’explication violente tournait en gaîté, et je l’emmenais dîner au restaurant et passer la soirée au spectacle. Elle appelait cela une partie de plaisir, et elle s’amusait comme dans sa jeunesse. Elle était alors si charmante qu’il fallait tout oublier.

Mais en certains jours il était impossible de s’entendre. C’était justement quelquefois ceux où l’accueil avait été le plus riant, où le coup de sonnette avait éveillé l’accent le plus tendre.