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envers elle, je ne pouvais me défendre d’une vive émotion chaque fois que j’allais la voir. Quelquefois je passais sous sa fenêtre, et je grillais de monter chez elle ; puis je m’arrêtais, effrayée de l’algarade qui m’y attendait peut-être ; mais je succombais presque toujours, et lorsque j’avais eu la fermeté de rester une semaine sans la voir, je partais avec une secrète impatience d’arriver. J’observais en moi la force de cet instinct de la nature, à l’étrange oppression que j’éprouvais en voyant la porte de sa maison. C’était une petite grille donnant sur un escalier qu’il fallait descendre. Au bas demeurait un marchand de fontaines qui remplissait, je crois, les fonctions de portier, car de la boutique quelque voix me criait toujours :

« Elle y est, montez ! »

On traversait une petite cour et on montait un étage, puis on suivait un couloir, et on montait encore trois autres étages. Cela donnait le temps de la réflexion, et la réflexion me revenait toujours dans ce couloir sombre, où je me disais :

« Voyons, quelle figure m’attend là-haut ? Bonne ou mauvaise ? Souriante ou bouleversée ? Que pourra-t-elle inventer aujourd’hui pour se fâcher ? »

Mais je me rappelais le bon accueil qu’elle savait me faire quand je la surprenais dans une bonne disposition. Quel doux cri de joie, quel brillant regard, quel tendre baiser maternel !