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un ramassis d’injures qui, sans elle, ne fussent jamais arrivées jusqu’à moi. Je lui demandais alors si elle avait lu l’ouvrage incriminé de la sorte. Elle ne l’avait jamais lu avant de le condamner. Elle se mettait à le lire après avoir protesté qu’elle ne l’ouvrirait pas. Alors, tout aussitôt, elle s’engouait de mon œuvre avec l’aveuglement qu’une mère peut y mettre, elle déclarait la chose sublime et les critiques infâmes : et cela recommençait à chaque nouvel ouvrage.

Il en était ainsi de toutes choses à tous les momens de ma vie. Quelque voyage ou quelque séjour que je fisse, quelque personne, vieille ou jeune, homme ou femme, qu’elle rencontrât chez moi, quelque chapeau que j’eusse sur la tête ou quelque chaussure que j’eusse aux pieds, c’était une critique, une tracasserie incessante qui dégénérait en querelle sérieuse et en reproches véhémens, si je ne me hâtais, pour la satisfaire, de lui promettre que je changerais de projets, de connaissances et d’habillemens à sa guise. Je n’y risquais rien, puisqu’elle oubliait dès le lendemain le motif de son dépit. Mais il fallait beaucoup de patience pour affronter, à chaque entrevue, une nouvelle bourrasque impossible à prévoir. J’avais de la patience, mais j’étais mortellement attristée de ne pouvoir retrouver son esprit charmant et ses élans de tendresse qu’à travers des orages perpétuels.