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prenaient leur distance, et, maniant la fronde ou lançant le bâton avec une grande adresse, ils vous donnaient avis de ne pas trop les déranger à l’avenir. On les craignait beaucoup, et j’ignore si on est parvenu à se débarrasser de leur parcours. Mais je sais que cet abus persistait encore il y a quelques années, et que des propriétaires avaient été blessés et même tués dans ces combats.

C’était pourtant la même race d’hommes que ces montagnards austères dont j’avais envié aux Pyrénées le poétique destin. Ils étaient fort dévots, et qui sait s’ils ne croyaient pas consacrer comme un droit religieux l’occupation de nos landes par leurs troupeaux ? Peut-être regardaient-ils cette terre immense et quasi-déserte comme un pays que Dieu leur avait livré, et qu’ils devaient défendre en son nom, contre les envahissemens de la propriété individuelle.

C’était donc un pays de loups et de brigands que Guillery, et pourtant nous y étions tranquilles et joyeux. On s’y voyait beaucoup. Les grands et petits propriétaires d’alentour n’ayant absolument rien à faire, et cultivant, en outre, le goût de ne rien faire, leur vie se passait en promenades, en chasses, en réunions et en repas les uns chez les autres.

Le liége est un produit magnifiquement lucratif de ces contrées. C’est le seul coin de la France où il pousse abondamment ; et, comme