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chambre et m’apporter mon dîner. Quand il était enlevé, je fermais toutes les portes donnant dehors et j’ouvrais toutes celles de l’intérieur. J’allumais beaucoup de bougies et je me promenais dans l’enfilade des grandes pièces du rez-de-chaussée, depuis le petit boudoir où je couchais toujours, jusqu’au grand salon illuminé en outre par un grand feu. Puis j’éteignais tout, et marchant à la seule lueur du feu mourant dans l’âtre, je savourais l’émotion de cette obscurité mystérieuse pleine de pensées mélancoliques, après avoir ressaisi les rians et doux souvenirs de mes jeunes années. Je m’amusais à me faire un peu peur en passant comme un fantôme devant les glaces ternies par le temps, et le bruit de mes pas dans ces pièces vides et sonores me faisait quelquefois tressaillir, comme si l’ombre de Deschartres se fût glissée derrière moi.

J’allai à Paris au mois de mars, à ce que je crois me rappeler. M. Dudevant vint à La Châtre et accepta une transaction qui lui faisait des conditions infiniment meilleures que le jugement prononcé contre lui. Mais à peine eut-il signé, qu’il crut devoir n’en tenir compte et former opposition. Il s’y prit fort mal ; il était aigri par les conseils de mon pauvre frère, qui, mobile comme l’onde, ou plutôt comme le vin, s’était tourné contre ma victoire après m’avoir fourni toutes les armes possibles pour le combat. La belle-mère de mon mari, madame Dudevant, faisait pour ainsi