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Je passai la nuit à réfléchir. En ce moment où je sentais la plénitude de mes droits, mes devoirs m’apparaissent dans toute leur rigueur. J’avais tardé bien longtemps, j’avais été bien faible et bien insoucieuse de mon propre sort. Tant que ce n’avait été qu’une question personnelle dont mes enfants ne pouvaient souffrir dans leur éducation morale, j’avais cru pouvoir me sacrifier et me permettre la satisfaction intérieure de laisser tranquille un homme que je n’étais pas née pour rendre heureux selon ses goûts. Pendant treize ans il avait joui du bien-être qui m’appartenait et dont je m’étais abstenue pour lui complaire. J’aurais voulu le lui laisser toute sa vie ; il aurait pu le conserver. La veille encore, le voyant soucieux, je lui avais dit :

« Vous regrettez Nohant, je le vois bien, malgré le dégoût que vous avez pris de votre gestion. Eh bien, tout n’est-il pas pour le mieux, puisque je vous en débarrasse ? Croyez-vous que la porte du logis vous sera jamais fermée ? »

Il m’avait répondu :

« Je ne remettrai jamais les pieds dans une maison dont je ne serais pas le seul maître. »

Et dès le lendemain il avait voulu être pour jamais le seul maître.

Il ne pouvait plus, il ne devait plus m’inspirer de sécurité. J’étais sans ressentiment contre lui, je le voyais emporté par une fatalité d’organisation, je devais séparer ma destinée de la sienne, ou sacrifier plus que je n’avais encore