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partir la feinte victime avec les quadrupèdes affamés et menaçans, qui paraissaient peu disposés à se laisser appréhender au corps.

Quand la bande payait honnêtement son écot, la vieille avait un autre souci. Elle redoutait surtout ceux qui se conduisaient en gentilshommes et dédaignaient de marchander. Elle furetait alors autour de leurs paquets avec angoisse, comptait et recomptait ses couverts d’étain et ses guenilles. Le bât de l’âne, quand il y avait un âne, était surtout l’objet de son anxiété. Elle trouvait mille prétextes pour retenir cet âne, et, au dernier moment, elle passait adroitement ses mains sous le bât pour lui palper l’échine. Mais, en dépit de toutes ces précautions et de toutes ces alarmes, il se passait peu de jours sans qu’on l’entendit geindre sur ses pertes et maudire sa clientèle.

Quels beaux Decamps, quels fantastiques Callot j’ai vus là, aux rayons blafards de la lune ou aux pâles lueurs de l’aube d’hiver, quand la bise faisait claqueter l’enseigne séculaire, et que les bohémiens, blêmes comme des spectres, se mettaient en marche sur le pavé couvert de neige ! Tantôt c’était une femme bronzée, pittoresque sous ses guenilles sombres, portant dans ses bras un pauvre bel enfant rose, volé ou acheté sur les chemins ; tantôt c’était le petit Savoyard beaucoup plus laid que son singe, et tantôt l’Hercule de carrefour traînant dans une espèce