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Mais il se plaisait dans les préoccupations de l’homme d’État. Habile au premier chef dans la science des affaires, puissant dans l’intuition de celles qu’il n’avait pas étudiées, prompt à s’assimiler les notions les plus diverses, doué d’une mémoire aussi étonnante que celle de Pierre Leroux, invincible dans la déduction et le raisonnement des choses de fait, il sentait ses brillantes facultés le prendre à la gorge et l’étouffer par leur inaction. La monotonie de sa profession l’exaspérait, en même temps que l’assujettissement de cette fatigue achevait de ruiner sa santé. Il rêvait donc une révolution comme les béats rêvent le ciel, et il ne se disait pas qu’en se laissant dévorer par cette aspiration, il usait son âme et la rendait incapable de se gouverner elle-même dans de moindres périls et de moindres labeurs.

C’est cette ambition fatale que j’assayai en vain d’engourdir et de calmer. Elle avait son beau côté sans doute, et si le destin l’eût secondée, elle se fut épurée au creuset de l’expérience et au foyer de l’inspiration ; mais elle retomba sur elle-même sans trouver l’aliment qui convenait à son heure, et il fut dévoré par elle sans profit marqué pour la cause révolutionnaire.

Il a passé sur la terre comme une âme éperdue, chassée de quelque monde supérieur, vainement avide de quelque grande existence appropriée à son grand désir. Il a dédaigné la part de gloire