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Je passai trois ans à faire alternativement l’un et l’autre. Ma raison se préserva toujours de son influence quand cette influence était déraisonnable, mais mon cœur subit encore le poids et le charme de son amitié, tantôt avec joie, tantôt avec amertume. Le sien avait des trésors de bonté dont on se sentait heureux et fier d’être l’objet ; son caractère était toujours généreux et incapable de descendre aux petitesses de détail ; mais son cerveau avait des bourrasques dont on souffrait cruellement en le voyant souffrir et en reconnaissant l’impossibilité de lui épargner la souffrance.

Pour n’avoir pas à trop revenir sur une situation qui se renouvela souvent pendant ces trois années, et encore au delà, quoique de moins en moins, je veux résumer en peu de mots le sujet de nos dissidences. Éverard, au milieu de ses flottemens tumultueux et de ses cataractes d’idées opposées, nourrissait le ver rongeur de l’ambition. On a dit qu’il aimait l’argent et l’influence. Je n’ai jamais vu d’étroitesse ni de laideur dans ses instincts. Quand il se tourmentait d’une perte d’argent, ou quand il se réjouissait d’un succès de ce genre, c’était avec l’émotion légitime d’un malade courageux qui craint la cessation de ses forces, de son travail, de l’accomplissement de ses devoirs. Pauvre et endetté, il avait épousé une femme riche. Si ce n’était pas un tort, c’était un malheur. Cette femme avait des enfans, et