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improvise les grandes amitiés. Il avait pour moi la plus touchante gratitude, et moi, je m’étais habituée à le dorloter au moral. J’avais passé avec Planet des nuits à son chevet, à combattre la fièvre qui le tourmentait par des paroles amies qui faisaient plus d’effet sur cette organisation tout intellectuelle que les potions du médecin. J’avais raisonné son délire, tranquillisé ses inquiétudes, écrit ses lettres, amené ses amis autour de lui, écarté les contrariétés qui pouvaient l’atteindre. Maurice, dans ses jours de sortie, l’avait soigné et choyé comme un aïeul. Il adorait mes enfans, et, d’instinct, mes enfans le chérissaient.

C’étaient là de douces chaînes, et la pureté de notre affection me les rendait plus précieuses encore. Il m’était assez indifférent, quant à moi, que l’on pût se méprendre sur la nature de nos relations ; nos amis la connaissaient, et leur présence continuelle la sanctifiait encore plus. Mais je m’étais flattée en vain qu’un pacte tout fraternel serait une condition de tranquillité angélique. Éverard n’avait pas la placidité de Rollinat. Pour être chastes, ses sentimens n’étaient point calmes. Il voulait posséder l’âme exclusivement, et il était aussi jaloux de cette possession que le sont les amans et les époux de posséder la personne. Cela constituait une sorte de tyrannie dont on avait beau rire, il fallait la subir ou s’en défendre.