Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/476

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme furieux d’avoir été tranquillisé la veille. Alors il se calomniait, il se déclarait ambitieux dans l’acception la plus étroite du mot, il se moquait de mes restrictions et cas de conscience, il parlait de vengeance politique, il s’attribuait des haines, des rancunes, il se parait de toutes sortes de travers et même de vices de cœur qu’il n’avait pas et qu’il n’aurait jamais pu se donner. Je souriais et le laissais dire. Je regardais cela comme un accès de fièvre et de divagation qui m’ennuyait un peu, mais dont la fin allait venir. Elle venait toujours, et je remarquais avec étonnement une évolution soudaine et complète dans ses idées, avec un oubli absolu de ce qu’il venait de penser tout haut. Cela était même inquiétant, et j’étais forcée de constater ce que j’avais déjà constaté ailleurs, c’est que les plus beaux génies touchent parfois et comme fatalement à l’aliénation. Si Éverard n’avait pas été voué à l’eau sucrée pour toute boisson, même pendant ses repas, maintes fois je l’aurais cru ivre.

J’étais déjà assez attachée à lui pour supporter tout cela sans humeur et pour le ménager dans ses crises. L’amitié de la femme est, en général, très maternelle, et ce sentiment a dominé ma vie plus que je n’aurais voulu. J’avais soigné Éverard à Paris dans une maladie grave. Il avait beaucoup souffert, et je l’avais vu à toute heure admirable de douceur, de patience et de reconnaissance pour les moindres soins. C’est là un lien qui