Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/475

Cette page n’a pas encore été corrigée

connu sous l’influence d’une personne ou d’un livre. Un peu plus tard, il lut l’Oberman de Senancourt et parla pendant trois mois de se retirer au désert. Puis il eut des idées religieuses et rêva la vie monastique. Il devint ensuite platonicien, puis aristotélicien ; enfin, à l’époque où j’ai perdu la trace de ses engouemens, il était revenu à Montesquieu.

Dans toutes ces phases d’enthousiasme ou de conviction il était grand poète, grand raisonneur ou grand artiste. Son esprit embrassait et dépassait toutes choses. Excessif dans l’activité comme dans l’abattement, il eut une période de stoïcisme où il nous prêchait la modération avec une énergie à la fois touchante et comique.

On ne pouvait se lasser de l’entendre quand il se tenait dans l’enseignement des idées générales ; mais quand la discussion de ces idées lui devenait personnelle, l’intimité avec lui redevenait un orage : un bel orage à coup sur, plein de grandeur, de générosité et de sincérité, mais qu’il n’était pas dans mes facultés de soutenir longtemps sans lassitude. Cette agitation était sa vie ; comme l’aigle, il planait dans la tempête. C’eût été ma mort, à moi : j’étais un oiseau de moindre envergure.

Il y avait surtout en lui quelque chose à quoi je ne pouvais m’identifier, l’imprévu. Il me quittait le soir dans des idées calmes et vraies, il reparaissait le lendemain tout transformé et