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aller loin pour trouver des forêts et des eaux vives. Et puis, faut-il le dire ? Éverard, avec Planet, avec un ou deux amis, était d’un commerce délicieux ; tête-à-tête, il était trop brillant, il me fatiguait. Il avait besoin d’un interlocuteur pour lui donner la réplique. Les autres s’en chargeaient, moi je ne savais qu’écouter. Quand nous étions seuls ensemble, mon silence l’irritait, et il y voyait une marque de méfiance ou d’indifférence pour ses idées et ses passions politiques. Son esprit dominateur le tourmentait étrangement avec moi, dont l’esprit cède facilement à l’entraînement, mais échappe à la domination. Avec lui surtout, ma conscience se réservait instinctivement un sanctuaire inattaquable, celui du détachement des choses de ce monde en ce qu’elles ont de vain et de tumultueux. Quand il m’avait circonvenue dans un réseau d’argumens à l’usage des hommes d’action, tantôt pour me tracer d’excellentes lois de conduite, tantôt pour me prouver des nécessités politiques qui me semblaient coupables ou puériles, j’étais forcée de lui répondre, et comme la discussion n’est pas dans ma nature et qu’il m’en coûte d’être en désaccord avec ceux que j’aime, aussitôt que j’en venais à parler bien clairement, ce qui m’étonnait moi-même et me brisait comme si j’eusse parlé dans l’effort d’un rêve, je voyais avec effroi l’effet de mes paroles sur lui. Elles l’impressionnaient trop, elles le jetaient dans un profond dégoût