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produire sans repos, tirer de moi-même, sans le secours d’aucune philosophie, des historiens de cœur, et cela pour suffire à l’éducation de ma fille, à mes devoirs envers les autres et envers moi-même. Je sentis alors l’effroi de cette vie de travail dont j’avais accepté toutes les responsabilités. Il ne m’était plus permis de m’arrêter un instant, de revoir mon œuvre, d’attendre l’inspiration, et j’avais des accès de remords en songeant à tout ce temps consacré à un travail frivole, quand mon cerveau éprouvait le besoin de se livrer à de salutaires méditations. Les gens qui n’ont rien à faire et qui voient les artistes produire avec facilité sont volontiers surpris du peu d’heures, du peu d’instans qu’ils peuvent se réserver à eux-mêmes. Ils ne savent pas que cette gymnastique de l’imagination, quand elle n’altère pas la santé, laisse du moins une excitation des nerfs, une obsession d’images et une langueur de l’âme qui ne permettent pas de mener de front un autre genre de travail.

Je prenais ma profession en grippe dix fois par jour en entendant parler d’ouvrages sérieux que j’aurais voulu lire, ou de choses que j’aurais voulu voir par moi-même. Et puis, quand j’étais avec mes enfans, j’aurais voulu ne vivre que pour eux et avec eux. Et quand venaient mes amis, je me reprochais de ne pas les recevoir assez bien et d’être parfois préoccupée au milieu d’eux. Il me semblait que tout ce qui est le vrai de la