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qu’il ne croit pas avoir suffisamment dégagé pour lui-même. Il a la figure belle et douce, l’œil pénétrant et pur, le sourire affectueux, la voix sympathique et ce langage de l’accent et de la physionomie, cet ensemble de chasteté et de bonté vraies qui s’empare de la persuasion autant que la force des raisonnemens. Il était dès lors le plus grand critique possible dans la philosophie de l’histoire, et s’il ne vous faisait pas bien nettement entrevoir le but de sa philosophie personnelle, du moins il faisait apparaître le passé dans une si vive lumière, et il en promenait une si belle sur tous les chemins de l’avenir, qu’on se sentait arracher le bandeau des yeux comme avec la main.

Je ne sentis pas ma tête bien lucide quand il nous parla de la propriété des instrumens de travail, question qu’il roulait dans son esprit à l’état de problème, et qu’il a éclaircie depuis dans ses écrits. La langue philosophique avait trop d’arcanes pour moi, et je ne saisissais pas l’étendue des questions que les mots peuvent embrasser ; mais la logique de la Providence m’apparut dans ses discours, et c’était déjà beaucoup, c’était une assise jetée dans le champ de mes réflexions. Je me promis d’étudier l’histoire des hommes, mais je ne le fis pas, et ce ne fut que plus tard que, grâce à ce grand et noble esprit, je pus saisir enfin quelques certitudes.

À cette première rencontre avec lui, j’étais trop dérangée par la vie extérieure. Il me fallait